L’ADAPTATION DE LA VILLE A L’AUTOMOBILE

Résumé d’un article

De la ville adaptée à l’automobile à la ville pour tous. L’exemple parisien

La plupart des aménagements viaires du 20e siècle ont eu pour but essentiel l’adaptation de la ville à l’automobile, non seulement en périphérie où l’ espace disponible a permis la construction de grandes voiries, mais aussi dans le centre-ville et les faubourgs, là où la voirie a été dimensionnée à l’origine pour des déplacements à pied ou à cheval.

La ville adaptée à l’automobile n’est passante que pour les voitures, beaucoup moins pour les piétons, cyclistes et usagers des bus qui subissent de nombreux temps d’attente, ralentissements et détours. En outre, les usagers non motorisés sont confrontés aux dangers provoqués par une circulation intense et rapide dans des rues souvent à sens unique.

La photo ci-dessus (avenue du 91ème RI) date des années 70 où les cyclistes étaient plus présents. Elle est tirée du site feu routier.

De la ville adaptée à l’automobile à la ville pour tous. L’exemple parisien

in Anne GRILLET-AUBERT, Sabine GUTH (dir.), 

Déplacements. Architectures du transport, territoires en mutation, Ed. Recherches/Ipraus, Paris, 2005, pp. 173-186.

 

1. Sens uniques

La mise en sens unique des rues [,,] concourt à favoriser la circulation automobile… A Paris, les trois quarts de la voirie sont aujourd’hui à sens unique. Les conséquences pour les autres usagers en sont très négatives.

– Pour les piétons, le danger est globalement accru. Certes le trafic ne vient plus que d’un seul côté, mais la vitesse des véhicules augmente et il devient impossible d’installer des îlots-refuges centraux pour les traversées dans les sens unique à deux voies ou plus.

– Pour les cyclistes, les trajets sont sensiblement allongés (de 20 % quand toutes les rues sont à sens unique) et plus dangereux à cause de la vitesse excessive des véhicules et des difficultés accrues de tourne-à-gauche. A Paris, un cycliste qui se heurte à un sens unique doit en moyenne effectuer 300m et 1 ou 2 tourne-à-gauche supplémentaires, souvent dans des rues bien plus fréquentées.

– Pour les bus, les parcours sont singulièrement compliqués et les usagers ont du mal à comprendre où se trouvent les arrêts. Lors de la modification des parcours, la perte de clientèle est de l’ordre de 10 à 30%.

Sur le plan esthétique, les rues à sens unique donnent une impression de tuyau qui valorise la fonction circulatoire au détriment de la vie locale. [..]

2. Des carrefours à feux généralisés

Les conséquences pour les autres usagers sont importantes.

– Les piétons supportent des détours et des temps d’attente dissuasifs : traversées en deux temps, îlots-refuges trop étroits, barrières et chicanes, passages piétons en retrait du carrefour, absence de passage sur une des branches obligeant les piétons à contourner tout le carrefour. La situation devient périlleuse pour les personnes à mobilité réduite : parents avec poussette, jeunes enfants, personnes âgées, handicapés…

–Les cyclistes sont confrontés à des efforts supplémentaires importants. Un arrêt imposé à un cycliste roulant à 20 km/h équivaut, en effet, à un détour de 80 m. A Paris, la fréquence des feux accroît l’effort des cyclistes de 20 %.

Si les feux semblent constituer une bonne sécurité pour les piétons, de nombreux accidents ont pourtant lieu sur les passages. Les piétons croient à tort y être en parfaite sécurité.

3. Des espaces de circulation et de stationnement automobile surdimensionnés

De nombreuses artères et places et même certaines voies de desserte ont un gabarit bien supérieur à ce qu’exige l’écoulement du trafic actuel. Car le débit de la circulation dépend d’abord de la capacité des carrefours et non de la largeur de la chaussée.

Cette situation résulte d’abord d’une époque où l’on considérait que tous les moyens étaient bons pour augmenter les espaces dévolus à l’automobile, sans autre analyse : les chaussées ont été élargies au détriment des trottoirs ou des aménagements cyclables, les bâtiments avancés frappés d’alignement, les îlots vétustes détruits et les rues agrandies…

Elle découle ensuite de la volonté de dimensionner la voirie en fonction du trafic des heures de pointe qui ne représentent pourtant en province que deux heures par jour.

Au total, la voiture occupe désormais l’essentiel des espaces publics dans les villes françaises. A Paris, avec 18% de part modale, la voiture occupe néanmoins 95% des km2x heure, dont 58 % pour le stationnement hors parkings souterrains.

 

Les activités commerciales pâtissent également de cet envahissement automobile : moins d’étals et de terrasses. La ville en ressort enlaidie et moins vivante.

4. Une ségrégation des trafics

Quand les vitesses respectives sont trop différentes, le principe de ségrégation des trafics vise à réduire les conflits entre usagers. De nombreux aménagements s’en inspirent : rues piétonnes, pistes cyclables, couloirs bus, voies rapides, carrefours dénivelés, tunnels… Les carrefours à feux et les sens uniques relèvent également de ce principe, puisqu’il s’agit d’alterner ou de séparer les sens de circulation.

Cette spécialisation des espaces a en réalité des conséquences néfastes sur la sécurité des usagers. Les conflits sont supprimés en section courante, mais fortement accrus aux carrefours. Ainsi, les véhicules accélèrent sur les voies rapides et dans les tunnels au risque des piétons et cyclistes au débouché. Même problème pour les pistes cyclables, les couloirs bus ou les zones piétonnes, chaque fois que les usagers concernés doivent réintégrer la circulation générale.

Et les aménagements censés les protéger – barrières, chicanes, feux trop longs, rares lieux de franchissement… – sont très contraignants et donc mal respectés. Certes, en ville, les piétons sont un peu moins victimes d’accidents que les automobilistes à durée d’exposition au risque égale. Mais si l’on ramène ce risque au seul temps où ils s’aventurent sur la chaussée, il apparaît qu’il est au moins 5 fois plus dangereux de circuler à pied qu’en voiture,

La situation actuelle résulte de modifications en profondeur de la voirie qui sont somme toute assez récentes. En province, elles n’ont souvent débuté que dans les années 60, avec une forte accélération après la circulaire du 16 avril 1971 généralisant les plans de circulation.


Une mixité des trafics

La mixité des trafics est possible lorsque le trafic automobile est ralenti et réduit. C’est le principe des zones 30, dont le caractère urbain doit être bien marqué :

– des entrées aménagées : seuils et avancées de trottoir,

– de préférence pas de trottoir, tout à niveau,

– des rues à double sens, au moins pour les cyclistes (double sens cyclables),

– des ralentisseurs : coussins, chicane, écluse…,

– des mini-giratoires ou des plateaux aux carrefours.

Ce type d’aménagement respecte la vie locale et favorise la cohabitation de tous en sécurité, sans supprimer les accès en voiture. Les zones 30 doivent rester perméables, passantes. Il ne s’agit pas d’en faire des quartiers fermés pour riches privilégiés. Elles ont vocation à couvrir l’agglomération et pas seulement les quartiers centraux.